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Libérer le capital humain des femmes et des filles : un levier de changement pour l'Afrique

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Libérer le capital humain des femmes et des filles : un levier de changement pour l'Afrique Libérer le capital humain des femmes et des filles : un levier de changement pour l'Afrique

Dossier spécial Finance et développement : L'Afrique à la croisée des chemins, ou comment tirer les leçons du passé et se tourner vers l'avenir. Une action globale en direction des femmes pourrait libérer le potentiel de la région et stimuler la reprise.

Depuis la décolonisation, l'Afrique subsaharienne a fait de grands progrès en matière de développement du capital humain, ce terme désignant la santé, les connaissances et les compétences que les individus accumulent tout au long de leur vie  et qui leur permettent de réaliser leur potentiel productif. Les avancées dans la région résultent, en grande partie, de l'amélioration de l'accès aux services et de la réduction des inégalités hommes-femmes dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la nutrition et de la protection sociale.

La progression de l'Afrique subsaharienne est mesurable. L'indice de capital humain, qui mesure la productivité future des enfants par rapport à une valeur de référence correspondant à des conditions de santé optimales et une scolarité complète, a augmenté dans presque tous les pays subsahariens entre 2010 et 2020 (graphique 1). Depuis 1990, le taux de mortalité des moins de cinq ans a chuté et l'espérance de vie à la naissance est passée de 40 ans en 1960 à 62 ans en 2019 . Le nombre d'enfants scolarisés dans le primaire et le secondaire a doublé depuis 1970, même si ces progrès sont partiellement tempérés par de faibles résultats sur le plan des acquis scolaires (UNESCO, 2021).

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Figure 1 - Indice de capital humain 2010/2020

Dans toute la région, l'augmentation de l'indice de capital humain a coïncidé avec une baisse de la fécondité (graphique 2) (UNFPA, 2020 ; Banque mondiale, 2018). Ainsi, le taux de prévalence de la contraception au Kenya est passé de 4 % en 1978 à 56 % en 2019. En Éthiopie, le taux de fécondité des adolescentes est tombé de 116 naissances pour 1 000 en 1960 à 63 en 2019 (UNFPA, 2020).

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Figure 2 - Taux de fécondité et indice de capital humain, 41 pays en Afrique subsaharienne

Avant la pandémie de COVID-19, l'Afrique était sur le point d'amorcer une transition démographique, grâce à la baisse des taux de natalité et à l'accroissement de l'espérance de vie globale. Il est essentiel pour l'avenir du continent de réaliser cette transition et d'investir pour en tirer tous les bénéfices.

Les défis actuels

Malgré des progrès encourageants, l'Afrique subsaharienne a encore du chemin à parcourir. La région n'atteint que 40 % de son potentiel productif, tel que mesuré par l'indice de capital humain. Avec près de trois millions de décès par an, le nombre d'enfants qui meurent avant l'âge de cinq ans demeure élevé, alors que la plupart de ces décès prématurés sont dus à des causes évitables comme les complications liées aux infections respiratoires, aux diarrhées ou au paludisme. Les retards de croissance, un indicateur de la dénutrition, touchent un enfant sur trois en Afrique subsaharienne (Baye, Laillou et Chitweke, 2020).

Selon une évaluation quantitative et qualitative de la scolarisation, qui permet de calculer le nombre d’années de scolarité corrigées en fonction des acquis, de nombreux pays d'Afrique subsaharienne obtiennent des résultats inférieurs à ce que leur niveau de revenu laisserait présager (Filmer et al., 2018). En outre, l'Afrique subsaharienne est la seule région du monde où le pourcentage d'adolescents non scolarisés a augmenté récemment, passant de 35,9 % en 2018 à 36,6 % en 2020  (UNESCO, 2021).

Dans la majeure partie de cette région, les femmes accusent un retard par rapport aux hommes en matière de capital humain et d'indicateurs connexes. Les filles ont moins de chances que les garçons de terminer leurs études secondaires (graphique 3), souvent en raison de mariages précoces, de grossesses chez les adolescentes et des tâches domestiques qui leur incombent. La fécondité réelle reste supérieure à la fécondité souhaitée, car les adolescentes et les femmes ne sont pas en mesure d'exercer pleinement leurs droits en matière de procréation et qu'elles n'ont pas accès à des soins de santé reproductive abordables et de qualité. Dans la population active, la productivité des femmes est inférieure en raison des obstacles auxquels elles se heurtent en matière de droits de propriété et d'accès aux marchés, aux financements et aux intrants productifs.

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Figure 3 - Taux d?achèvement du premier cycle secondaire, par sexe, Afrique subsaharienne

Les contrecoups de la COVID-19

La pandémie de COVID-19 a compromis l'accumulation de capital humain et les progrès sur le front de l'égalité entre les sexes. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les estimations indiquent (a) une augmentation allant jusqu'à 45 % des décès d'enfants de moins de cinq ans et une hausse de 39 % des taux mensuels de mortalité maternelle (Roberton, et al., 2020). En raison de l'extrême pauvreté en Afrique subsaharienne, dix millions d'enfants de moins de cinq ans supplémentaires pourraient souffrir de malnutrition aiguë et le nombre de ménages sous-alimentés risque d'augmenter de 30 %. Par ailleurs, les violences à l'égard des femmes et les mariages d'enfants (a) sont en hausse par rapport à des niveaux déjà élevés dans de nombreux pays de la région.

L'éducation a été frappée de plein fouet par la pandémie. Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, la pauvreté des apprentissages (le pourcentage d'enfants de dix ans qui ne sont pas en mesure de lire et comprendre un texte simple) atteint 53 % (a). La COVID-19 risque de compromettre significativement les avancées en matière de réduction de la pauvreté des apprentissages dans ces pays. On s'attend en effet à une hausse des taux de déscolarisation, en particulier pour les adolescentes qui courent un risque élevé de mariage et de grossesse précoces et sont contraintes de se consacrer aux tâches domestiques (Azevedo, et al., 2021).

Les effets dévastateurs de la COVID-19 sur l'emploi et les moyens de subsistance ont été particulièrement marqués pour les personnes travaillant dans le secteur informel, à savoir principalement des femmes. Nous savons également que celles-ci sont plus susceptibles de devoir réduire leurs heures de travail ou de quitter leur emploi pendant les crises. Avant la pandémie, les femmes consacraient en moyenne 3,2 fois plus de temps que les hommes aux tâches domestiques non rémunérées (OIT, 2018). La pandémie a accru la nécessité de se consacrer aux enfants. Une enquête menée en juin 2020 par la Banque mondiale, Facebook et l'OCDE (a) a révélé un écart important entre les sexes dans les fermetures d'entreprises dues à la pandémie au Nigéria : 44 % des entreprises féminines interrogées ont fermé, contre 33 % de celles dirigées par des hommes.

Au-delà de la pandémie, l'Afrique subsaharienne est confrontée aux conséquences du changement climatique, des migrations forcées, du ralentissement de la croissance des investissements et de l'augmentation de la pauvreté et des inégalités. Or, les femmes et les filles ont plus de risques d'en être affectées en raison des discriminations dont elles sont victimes et des normes sociales et de genre en vigueur. Par exemple, les difficultés d’accès à l'eau engendrées par le changement climatique limiteront le temps que les filles peuvent consacrer à leur scolarité, sachant que c'est à elles qu’incombe la corvée d’eau. De nouvelles données suggèrent que les femmes sont plus exposées que les hommes à l'insécurité alimentaire liée au climat (a), mais aussi qu'elles risquent davantage de souffrir de troubles psychiques ou encore de subir des violences conjugales à la suite d'événements climatiques extrêmes.

Libérer le capital humain des femmes et des filles aiderait l'Afrique subsaharienne à se relever de la pandémie de COVID-19 et à conforter son avenir économique et social . En effet, le lien entre l'éducation des filles et les retombées économiques est bien connu. En Afrique, chaque année de scolarité supplémentaire augmente les revenus d'un homme de 11 % et ceux d'une femme de 14 %  (a). En outre, parce que la formation de capital humain est un processus dynamique et cumulatif, les investissements dont les femmes bénéficient aujourd'hui profiteront également aux générations futures.

Perspectives

Le Plan pour le capital humain en Afrique propose le cadre dit des « 4E » pour orienter les investissements dans le capital humain des femmes et des filles :

Éducation et développement des compétences pour les emplois de demain : Des écoles abordables et de qualité, et des compétences pour se préparer au marché du travail mondial. Investir dans les enseignants et créer des écoles sûres est essentiel pour l'éducation des enfants. Les allocations monétaires peuvent aider davantage d'élèves à fréquenter l'école et à y rester, tandis que le mentorat peut encourager les filles à se diriger vers les filières scientifiques et à se spécialiser, notamment dans les métiers du numérique et de l'économie verte. La formation aux compétences de la vie et non techniques peut quant à elle aider les jeunes femmes à développer leur confiance en elles et à élargir leurs aspirations professionnelles.

Extension de l'accès à la santé sexuelle et reproductive : Recours aux services de santé sexuelle et reproductive de qualité et abordables, pour les adolescentes et les mères. L'expérience montre que les campagnes de communication et de sensibilisation des communautés, qui font appel aux chefs traditionnels et aux personnes influentes pour faire évoluer les mentalités et les comportements, sont aussi importantes que la prestation de services en elle-même.

Emploi et inclusion économique : Financements, assistance technique, emplois productifs et soutien aux revenus. L'accès aux capitaux, le soutien à l'entrepreneuriat et l'amélioration des services de garde d'enfants peuvent augmenter considérablement les revenus des femmes et la croissance économique en général. L'élimination des freins aux droits de propriété et à l'emploi dans le secteur formel permettra de remédier à la concentration des femmes dans les emplois mal payés du secteur informel. Les mentors et les personnes qui jouent un rôle de modèle peuvent encourager les femmes à se tourner vers des professions traditionnellement masculines et mieux rémunérées. Le versement d'allocations monétaires par voie numérique offre par ailleurs la possibilité de renforcer l'inclusion et l'accès aux services financiers.

Émancipation et prise de parole : Faire évoluer les normes sociales et de genre. Libérer les femmes et les filles du fléau des mariages précoces, des grossesses non désirées et des violences sexistes nécessite une évolution des normes et rôles sociaux, ainsi que des politiques plus inclusives et des réformes législatives.

L'adoption de ce cadre d’action en quatre axes peut changer la donne en Afrique subsaharienne et être la clé d’un développement durable, résilient et inclusif.


Auteurs

Hana Brixi

Directrice mondiale, Genre et égalité des sexes

Laura Rawlings

Économiste principale à la Banque mondiale

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